Êve Clair, née à Paris en 1972, ancienne élève de l’École Supérieure d’Art Graphique Met de Penninghen (l’Académie Julian), puis de l’École des Gobelins (spécialisation story-board), se consacre depuis 2003 à la peinture et à la gravure.
Born in Paris in 1972, former pupil of the well-known Ecole Supérieure d’Art graphique Met de Penninghen (l’Académie Julian), then of GOBELINS (specialisation in story-boards), I worked as a graphic designer, then a story-boarder in the cartoon industry for a number of years. From 2003, I dedicated myself to painting.
Trained at a very academic school, where drawing was at the heart of my apprenticeship, I first focused my efforts on portrait-painting, which I saw as a technical challenge. I have carried out a large number of portraits in oil on canvas, generally large formats. Over the years, my goal has been to define a personal signature, a chromatic spectrum, a personal language and to acquire greater spontaneity and liberty. My aim is to produce a body of work that is sincere, intimate and as free as possible.
Démarche:
Ma peinture raconte des histoires, des histoires d’amour ou de discorde, de brigands et d’idoles, d’intrigues et de bobards, de peau et d’âme, pour rire ou s’évader, des histoires de poésie et d’humanité.
Formée dans une école très académique où le dessin était au centre des apprentissages, je me suis d’abord imposé le portrait comme un exercice, un défi technique. Au fil des ans, ma peinture docile et juvénile s’est étoffée, affirmée, jusqu’à s’affranchir de mes ordonnances peut-être un peu surannées, pour finalement s’imposer au commandement des opérations, au devant de moi. Je suis depuis lors sa subordonnée. Selon ses directives, j’agis en quête d’une empreinte, d’une chromatique, d’une gestuelle particulières, concentrant mes efforts pour évoluer vers plus de spontanéité, d’authenticité, de liberté dans l’expression. Ce travail a conditionné une déconstruction progressive de la figure et m’a menée tout naturellement à la découverte de la peinture abstraite. Une partie de mon travail reflète ce passage entre figuration et abstraction, mutation qui a mis plusieurs années à s’opérer, point de liaison que j’aime à explorer en pointillés.
Dans ma pratique, je perçois le figuratif comme une énergie concentrique et a contrario l’abstrait comme une énergie expansive. Je les aborde comme deux disciplines très différentes et exigeantes, difficilement conciliables. Lorsque je construis une peinture figurative, il me semble que je fabrique avant tout du «signifiant» par l’entremise du dessin, signifiant « tyrannique » qui de mon point de vue prend facilement l’avantage sur la sensualité de la peinture. C’est la raison pour laquelle ma préférence penche parfois pour l’abstraction, plus intuitive, que j’aborde avec une gestuelle désinvolte libératrice, des couleurs, des matières et des rythmes reliés à l’instant présent. Une approche plus immédiate de la peinture, davantage sensible et primitive, expression cathartique et puissante de l’inconscient, dans laquelle l’énergie et les matériaux prédominent.
Après des années consacrées à l’abstraction, 2014 a vu ressurgir la figure, qui ne cesse depuis de reprendre du terrain. Les études de nus plongés dans les limbes d’environnements abstraits tourmentés ont laissé place au fil du temps à des scènes de vie et sujets sociétaux variés, plus ancrés dans le réel.
Deux merveilleuses rencontres ont eu lieu en chemin : celle de la gravure, que j’ai aussitôt embrassée et ajoutée à mes outils de prédilection, et celle du monde de l’édition en 2020 avec la réalisation de la bande dessinée « Je veux mourir chez moi » (aux éditions Libra Diffusio) qui m’a ouvert un nouveau chemin d’expression. Ont suivi les parutions d’ « Augustin, les petits pas de la victoire » puis de » Petit manuel pour parler Sarthois » trois livres commandés par les Éditions Libra Diffusio. Depuis cette dernière parution, je développe, toujours pour l’édition, une expression plus proche de celle de la peinture et de la littérature, avec la réalisation de nouveaux projets en cours de développement.
Mon travail très polymorphe peut surprendre par sa diversité. Il y a pourtant bien une source commune à tous ces reflets du même fleuve; c’est l’origine de ces diffractions que je cherche à percer au grand jour. A cette fin, tous les chemins sont captivants…
Eve Clair
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Interview parue sur le site Artisteo (2012) :
Depuis quand créez-vous et quel a été le déclic?
Je fais de la peinture depuis toute petite, c’est la seule chose que j’aie jamais su faire sans rechigner, sans que l’on me pousse à travailler, j’aimais enfant passer beaucoup de temps à peindre ou à dessiner. Je participais à un atelier chaque semaine après l’école, j’y faisais déjà de grandes peintures sur des feuilles fixées au mur qui débordaient vite sur de nouvelles grandes feuilles que l’on collait les unes derrière les autres. Je garde un souvenir ému de ces séances. Par la suite, après le Bac, j’ai fait des études pour apprendre sérieusement à dessiner et à utiliser les couleurs, puis une formation pour devenir story-boarder (mise en scène dessinée) dans le dessin animé, un métier que j’ai exercé quelques années. Ce n’est qu’à 30 ans que j’ai décidé de sauter dans le grand bain : peinture pour elle seule, la grande aventure, vaille que vaille !
Quels sont les artistes que vous aimez et dans quelle famille artistique vous situez vous?
J’aime en particulier le travail de Pierre Bonnard, Edouard Vuillard, Gustave Klimt, William Turner, Nicolas De Staël, Oskar Kokoschka, Willem De Kooning, Per Kirkeby, qui m’ont tous influencée chacun avec leur style particulier et qui m’ont beaucoup appris. Les trois grands peintres que j’admire le plus sont sans doute Claude Monet, Cy Twombly, et Joan Mitchell. J’ai été longtemps figurative mais la famille dont je me sens la plus proche aujourd’hui est celle de l’abstraction lyrique.
Avez-vous un atelier et comment travaillez-vous : photo, plein air, d’après une idée, un sentiment, une émotion ?
Je viens d’emménager au Mans dans une petite maison, je m’y suis pour le moment réservé la véranda pour y travailler, en attendant de trouver un nouvel espace de travail plus grand dans la région. J’ai travaillé dans différents ateliers par le passé, du plus petit au plus grand et au plus loufoque, l’important étant chaque fois de s’y sentir libre ! J’ai longtemps fait du portrait et je travaillais à l’époque essentiellement sur la base de photos, car la pose, interminable, était insoutenable pour mes modèles, voire impossible à mettre en place selon le cas. Aujourd’hui, je ne fais plus du tout de figuratif et je travaille tout autrement. Je ne prémédite plus rien. Dans ce qui pourrait s’apparenter à un état méditatif, je cherche en peignant à retranscrire visuellement au plus juste l’énergie qui m’anime sur le moment, ni plus ni moins. C’est à la fois très simple et très ardu. Cela ressemble beaucoup à une improvisation musicale, il s’agit de retranscrire l’émotion, la couleur, l’énergie de l’instant vécu, en équilibre fragile, avec le plus d’adresse, d’efficacité et de jubilation possible. C’est un jeu d’accords, de contrepoids, dans l’atelier en dehors du monde, avec beaucoup de loupés, de persévérance, pour quelques improvisations audacieuses et heureuses qui encouragent et motivent à poursuivre les jours de doutes.
Quelle est votre technique et comment a-t-elle évolué ?
Je peins à l’huile essentiellement, sur toile, sur métal ou sur bois, quelquefois s’y ajoutent de l’acrylique pour les fonds, des pastels gras et des crayons. Ma technique a beaucoup évolué au fil des ans et j’espère qu’elle continuera à me surprendre. Ma peinture est beaucoup plus gestuelle et spontanée que par le passé. Elle était très laborieuse au départ, très studieuse et quelquefois austère, elle s’est beaucoup libérée au fil du temps, pour mon plus grand bonheur ! Aujourd’hui, il me faut écrire vite et fort, lestement, avec efficacité, sans trop en dire à la fois au risque de devenir illisible. Le geste est un marqueur puissant de l’énergie, à lui seul il trace et transcrit beaucoup, il évoque la nature et révèle l’état de son auteur plus encore à mon sens qu’une figure délibérée. L’art abstrait est libérateur, pour celui qui peint tout autant que pour celui qui s’y immerge en l’observant, la peinture abstraite est un champ infini de sensationnel. Quand je peins, il s’agit donc pour moi de ne pas brouiller les gestes pour rester « audible », de bien gérer la quantité et la qualité des signes (la nature des traces laissées par le geste), et même chose pour la couleur : rester adroite, sans surdosage, sans vulgarité, dire juste, avec intelligence et subtilité. Pas toujours facile…
Parlez nous de votre vie d’artiste, des difficultés et des bonheurs que vous avez rencontrés.
La vie d’artiste est un long fleuve intranquille, les turbulences et la précarité sont le lieu commun des peintres que je connais. Jamais assurés du lendemain, mais heureux d’être libres. Riches de créer, d’occuper nos vies à faire ce que nous aimons, mais à l’écart du monde, de par un rythme de travail et un rapport au temps différent, de par une précarité financière banalisée, un statut professionnel qu’il faut sans cesse justifier lorsque l’on est pauvre, un sens donné à l’existence, un rapport aux autres différent, des priorités de vie différentes… Je ne supporte pas d’être supervisée par un patron et ne supporterais pas d’avantage de le devenir. Aussi, suis-je heureuse au quotidien d’être libre et toute entière consacrée à ma tâche, même si elle ne me nourrit pas toujours, mais cette liberté a un coût : j’ai eu peur bien souvent d’être engloutie par la misère… En marge de ces angoisses chroniques, de grands bonheurs vécus à partager avec des amateurs ou artistes sensibles à mes « grabouillages », qui savaient lire mes grilles de signes, comprenaient mes hésitations et m’ont soutenue lorsque je renonçais timidement au figuratif – qui était le socle de ma formation- et par lequel je m’étais distinguée jusque là. De grandes joies aussi à trouver des chemins de recherches inespérés, à peindre certains jours privilégiés où la main et la tête peignent juste, sans faillir, presque en devant de soi…
Qu’espérez vous apporter aux autres au travers de votre art ?
Je n’ai pas la prétention de vouloir apporter quoi que ce soit aux autres. Je suis heureuse si quelqu’un éprouve une joie sincère à « écouter ma musique », qu’il comprend ma langue et que nous pouvons dialoguer. Mais je cherche avant tout pour moi.
Où exposez vous et quels sont vos projets ?
J’expose régulièrement à la galerie Cadre Noir à Versailles qui conserve en permanence quelques-unes de mes toiles dans sa réserve. J’expose également dans le sud de la France à Saint Martin de Londres à la galerie Talbot et je participerai en 2013 au salon des Réalités Nouvelles au parc floral de Paris, ainsi qu’à Puls’Art au Mans.
Quel est votre regard sur l’art d’aujourd’hui et de manière générale, que pensez-vous de la place de l’art dans la société ?
Je ne m’inscris pas du tout dans le courant contemporain de l’art conceptuel. Ma peinture est sensorielle, elle véhicule une émotion, mais n’est pas par définition de nature à provoquer une réflexion, elle est avant tout matière, rythme, vibrations de lumière et n’a pas de sens codé métaphysique, ni le clinquant du marketing de saison, son appréhension est immédiate et directe, monolithe. Je veux dire par là que je suis avant tout plasticienne et que mon travail ne repose pas sur la nature intrinsèque de l’art, sur ma position dans la société, sur le devenir de l’homme, sa finitude de mortel et ses excès, ni même sur le projet narcissique d’initier une avant-garde illuminée; je me contente de faire de la peinture de mon mieux, sans pour autant être un pachyderme. En cela, je me sens éloignée de bon nombre d’acteurs du milieu très cloisonné de l’art actuel, je pense d’ailleurs que nous ne faisons pas du tout partie du même ensemble.
La crise aidant, la France se préoccupe de moins en moins de ses artistes anonymes qui sont de plus en plus marginalisés et misérables, bons nombres de talents toutes disciplines confondues sont recyclés dans le marketing et la publicité quand ils le peuvent pour survivre, c’est un terrible gâchis. La production artistique quelle qu’elle soit est une respiration, un appel d’air indispensable pour la bonne santé d’une société.
Quels sont les expositions récentes qui vous ont marqué ?
J’ai un très bon souvenir de l’exposition rétrospective du travail d’Arman à Beaubourg, de celle de Soulages ou plus récemment de Richter et de celle de Basquiat au musée d’art moderne de Paris.
Quel serait le plus grand bonheur qui pourrait vous arriver en tant qu’artiste ?
Mon plus grand bonheur serait de continuer à peindre encore très longtemps, jusqu’à un âge très avancé et d’exposer dans de nombreux pays du monde, de façon à pouvoir accompagner les toiles un peu partout et à rencontrer des amateurs et acteurs majeurs de l’art de tous horizons, de grands artistes avec lesquels échanger et visiter des villes inconnues…
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